Introduction

S’agissant de marketing et de communication, les entreprises sont en retard. De plus en plus en retard. Le directeur marketing monde d’une des plus grandes entreprises de grande consommation disait en 2010 : « Le marketing digital c’est un peu comme le sexe pour les lycéens. Tout le monde en parle, peu le font et personne n’est à l’aise sur la façon de s’y prendre. »

Il est aujourd’hui indéniable qu’en dix ans le public a massivement embrassé le numérique, adoptant avec enthousiasme une rafale d’innovations issues de l’Internet. Divertissement, consommation, information, culture, famille, amitié, argent…, les nouvelles technologies digitales ont radicalement et rapidement changé la société. Au vu de leur ampleur, il est aujourd’hui illusoire de croire que ces changements sociétaux profonds se cantonnent aux médias numériques, comme si les internautes n’habitaient que sur Internet. De la même façon, il est étrange de prétendre qu’il existe encore un « marketing digital » qui serait une sous-partie du marketing en général. Le marketing digital n’existe plus, mais il est certain que le marketing à l’ère digitale doit maintenant vivre le même changement radical qu’a déjà vécu le consommateur. Avec la digitalisation de plus en plus rapide des esprits, de l’ensemble des médias et de la société, le marketing digital est tout simplement devenu le marketing.

Ce livre a pour objectif de donner les clés de compréhension du changement mais aussi des pistes de réflexion sur comment les marques peuvent profiter du formidable potentiel que représente pour elles l’ère digitale. Après tout, comme pour les lycéens, on peut espérer que tout le monde passera vraiment à l’acte. Alors, autant avoir une idée claire de ce qui nous attend. La première fois que l’on m’a demandé d’écrire un livre sur le numérique et le marketing de nouvelle génération, c’était en 1998. Parti à l’assaut de ce projet, je me suis rendu compte qu’en réalité nous avions beaucoup d’intuitions mais assez peu de certitudes. Le monde était en train de changer, mais nous en étions encore à spéculer sur l’impact futur de ce changement sur le consommateur plutôt que d’en analyser les fondamentaux concrets. Nous avions fondé l’agence FullSIX sans imaginer un seul instant qu’elle serait entrée dix ans plus tard dans le Top 50 des groupes mondiaux de communication intégrée. Si nous voulions créer une agence différente, née dans et pour le digital, nous ne nous doutions pas que la révolution digitale serait aussi massive et rapide. Mais nous n’imaginions certainement pas de passer de six fondateurs à plus de mille personnes en presque dix ans. En réunissant une équipe avec une moyenne d’âge de 27 ans, nous avions l’intuition que le potentiel du numérique pour les marques irait bien au-delà du site Web et allait nécessiter une nouvelle génération d’agences. Nous refusions de voir le digital comme un problème à résoudre alors que nous avions la certitude qu’il représentait une chance énorme pour les marques et le marketing. Et c’était la raison principale pour laquelle nous fondions une agence dans laquelle ingénieurs, créatifs et consultants étaient à proportion égale, et dont l’ambition principale était de faire profiter les annonceurs de tous les bienfaits du numérique, sans a priori ou réticence. Mais de là à croire que le monde, les consommateurs et les médias allaient changer aussi radicalement et aussi vite… L’industrie de la communication est maintenant dans une situation… compliquée. Elle s’est construite essentiellement sur l’essor de canaux, dont le principal est la télévision. Elle s’est structurée pendant plus de cinquante ans autour de médias. Les talents, les méthodes, les organisations, les modes de rémunération, la philosophie des agences ont été construites pour d’abord et avant tout penser et diffuser un message en trente secondes, puis le décliner sur d’autres supports. Et cela a marché, permettant l’essor de colosses mondiaux, tant au niveau des marques que des groupes de communication. Pas un seul instant quelqu’un ne pouvait croire que cet ordre allait s’effondrer. Et puis c’est arrivé. L’ère digitale est apparue et tout est devenu en apparence très compliqué. L’Internet a donné une opportunité aux consommateurs de prendre la main et de changer les règles du jeu. Et ils l’ont prise à une vitesse inouïe. La rapidité de l’adoption de nouveaux usages et son amplitude donnent le tournis. Le public a définitivement et massivement accès à une infinité d’informations avec une facilité jamais vue. Mieux, les gens sont eux-mêmes devenus émetteurs, récepteurs, connecteurs d’information et de contenu. N’importe qui peut analyser en quelques secondes la réalité d’une marque ou d’une offre, faire son commentaire et le diffuser à armes égales avec la marque. Cette liberté acquise pour le consommateur change tout pour les marques, apportant des risques et des opportunités bien au-delà de l’ajout de nouveaux canaux numériques aux anciens modèles. Car l’ère digitale ce n’est pas seulement les nouveaux écrans digitaux (Web, mobile…) et le changement profond du consommateur, c’est aussi la numérisation à marches forcées de la quasi-totalité des médias dont la télévision. Aujourd’hui déjà, il n’y a plus d’écran qui ne soit pas digital, et demain il n’y en aura plus qui ne soit pas connecté à Internet. Cette révolution, au sens propre du terme, apporte comme mauvaise nouvelle un monde moins statique et simple, mais aussi comme bonne nouvelle de formidables opportunités de redonner du sens et de la performance à la communication. La complexité apparente est uniquement due à l’entêtement factuel d’une partie de l’industrie de la communication à vouloir agir dans le nouveau monde avec les règles de l’ancien. Si l’on ne fait pas son deuil de l’ancien monde pour vivre et agir dans la nouvelle réalité, c’est forcément vite intenable. En histoire, cette période de transition entre un ordre et l’autre porte un nom, le Moyen Âge. À la fin de cette transition, on arrive normalement dans la Renaissance. Plus personne ne peut continuer à contester que les audiences se sont déplacées en masse vers les nouveaux médias. L’ampleur des chiffres d’usage et de leur croissance exponentielle continue est telle que l’on a du mal à en saisir les contours.

Mais ceci n’est que la partie visible de l’iceberg, car la véritable révolution est ailleurs. Elle est dans l’interaction de masse entre marques et consommateurs, dans les nouvelles frontières créatives où tout devient possible, dans les data et l’intelligence client, dans la mesure de la performance et l’agilité des campagnes. Elle est dans le fait que les marques peuvent jouer un rôle dans la vie des gens et ne pas se limiter à interrompre leur fiction du soir à la télévision. Elle est dans le fait que des consommateurs sont prêts à collaborer avec la marque pour rendre son offre, son expérience plus pertinente pour soi et les autres. Toutes les conditions sont déjà réunies pour entrer dans un nouvel âge d’or de la communication des marques, dès que le modèle dominant sera devenu la pertinence individuelle et non plus la fréquence de masse, lorsque l’on privilégiera l’efficacité et l’intelligence plutôt que l’intrusion et la répétition.

Depuis dix ans, il ne se passe pas un an, un mois, un jour, sans qu’un nouvel élément ne vienne confirmer  ce triomphe de l’ère digitale. Dopée par Internet, la technologie progresse de plus en plus vite, changeant à la fois la vie des consommateurs mais aussi les moyens à disposition des marques. À chaque fois, à chaque nouvelle vague, l’accélération s’accélère encore en créant un fossé  de plus en plus grand entre la réalité des comportements consommateurs et l’industrie chargée  de les comprendre pour les séduire et les convaincre. Alors que chacun sait que le changement radical du marketing est inéluctable, son évolution continue au rythme des petits pas pendant  que la société et les audiences font des pas de géants. Pour l’instant, la grande majorité  des marques subit l’innovation plus qu’elle ne l’exploite. Les groupes de communication traditionnels insistent sur le fait qu’ils ont des capacités d’exécution digitales sans pour autant entamer leur révolution culturelle. On continue à croire qu’il existe un marketing digital plutôt  que de refondre son marketing pour l’ère digitale. Car une fois que l’on accepte le changement comme une chance, les opportunités sont légions. Les fondamentaux du nouvel âge d’or des marques existent déjà, ils ne sont maintenant plus des intuitions mais des faits concrets. Les entreprises peuvent d’ores et déjà les mettre en oeuvre sur les médias digitaux de masse et bénéficier de performances immédiates spectaculaires, élargissant ces modèles au fur et à mesure de la digitalisation des médias et des audiences. Pour prendre la mesure de l’enjeu, le passage à une vision stratégique alternative et adaptée à l’ère digitale peut doper la performance de l’euro investi en communication de près de 50 %, tout en apportant une valeur au consommateur final encore plus grande. Les mécanismes intrinsèques de l’interaction, de la collaboration, de l’intelligence client et de l’agilité des campagnes fonctionnent déjà aujourd’hui pour peu que l’on ait la capacité à les comprendre et la volonté de les mettre en oeuvre. Trop peu de dirigeants réalisent que le marketing synchronisé, inventé sur les médias digitaux, est déjà applicable sur l’ensemble des actions d’une marque quel que soit le canal, sans oublier que de toute façon, demain, tous les médias seront digitaux. Mais aujourd’hui il est trop tard pour planifier une évolution progressive comme cela pouvait être le cas il y a encore dix ans. Le monde a déjà changé. C’est d’une rupture de modèle dont a besoin la publicité pour s’adapter à son environnement et atteindre son nouvel âge d’or. Cette rupture n’est pas uniquement dans l’exercice quotidien. Elle exige des changements de méthode, d’approche, d’organisation, de talents, de philosophie, de compréhension même de ce que peut accomplir la communication. Car les silos sont tombés, la séparation entre marketing, communication, ventes, données, idées et technologie est un héritage antique qui empêtre les agences et les annonceurs, les empêchant de réussir dans l’ère digitale.

Nous sommes donc entrés dans l’ère digitale poussés non pas par Internet, mais par son adoption massive par le public et les changements de mode de vie et de consommation que ce plébiscite a provoqués. Vivre des moments de changement aussi profond et rapide est une chance. Une chance pour les marques, les médias et les agences et les talents qui les composent. Quand les lignes bougent aussi vite, les opportunités de faire la différence individuellement ou collectivement sont décuplées.

Une seule contrainte : il faut faire au lieu de dire.

Et vite.
Marketing Synchronisé